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La Croatie diverse (suite)
6 octobre 2020

Olja Savičević Ivančević

I. Biographie

 

Diplômée en littérature croate, Olja Savičević Ivančević est née à Split en 1974. Elle a écrit plusieurs recueils de poèmes, ainsi qu'un livre de contes, Faire rire le chien, et un roman, Adieu, le Cowboy. Elle est lauréate du Prix Prozac (pour le meilleur livre de prose écrit par un auteur de moins de 35 ans), du Prix Ranko Marinković (décerné par le quotidien Večernji list pour le meilleur conte) et du prestigieux Prix Kiklop pour son recueil Les règles de la maison. Ses livres ont été traduits et publiés en Allemagne, en Macédoine, en Hongrie et en Serbie. Par ailleurs, ses contes, ses poèmes et ses essais ont été traduits dans une vingtaine de langues et intégrés dans différentes anthologies. Elle vit de son travail d´écrivain, à Split.

 



II. Poème

Odlazak malih admirala

Naša je ulica tiha al noću
Čujem kako hrče grad
Njegov ravni zvuk u pozadini
I mljaskanje kad se okrene na bok
Večeras odlaze svi admirali s Matejuške
Odriješit će male barke
Potražit će novi svijet
Tiho dok debeli grad spava
Bez pompe sasvim kradom
Kliznut će u tamno more
Zarezati noćni val
Negdje na pučini zabrundat će motori
Vonj nafte i ustajalog mora
Miris koji se ziba u utrobi broda
Vjetar će vratiti u luku
A ujutro
Što ćemo mi bez njih
Zato je moja škrinja uvijek spremna
Na pusti otok ponijela bih
Metafora



Le Départ des petits amiraux

Notre rue est silencieuse mais la nuit
J'entends la ville ronfler
Son murmure sourd à l'arrière-plan
Et son mâchonnement quand elle se tourne sur le flanc
Ce soir tous les amiraux partiront de Matejushka
Ils dénoueront de petites barques
Ils chercheront un nouveau monde
Silencieusement lorsque la grosse ville dormira
Sans pompe tout en cachette
Ils fileront dans la mer noire
En taillant la vague nocturne
Quelque part en haute mer les motos se mettront à vrombir
Une mauvaise odeur de pétrole et de mer gâtée
Une odeur tanguant dans les entrailles du bateau
Le vent rentrera dans le port
Or demain matin
Que ferons-nous sans eux
A cause de ça mon coffre est toujours prêt
Sur une île déserte j'emporterais
Une métaphore

 

Traduit du croate par Caroline Dat et Mladen Uhlik

 

 

III. Interview

 

L’écrivaine Olja Savičević et la «génération perdue» croate

Cafebabel.com : Olja, vous avez déclaré que votre roman Goodbye Cowboy (Adio kaubojci) n’était pas de ceux que recommanderaient les agences de tourisme pour la Croatie. Pourquoi?

Olja Savičević :   Les agences de voyage ont une tâche bien plus difficile : celle de montrer les choses sous le jour le plus favorable possible. La tâche d’un auteur est de montrer les choses selon son point de vue. Ceux qui s’intéressent vraiment à la Croatie et à l’Europe de l’Est méridionale ne trouveront pas la vérité dans les guides touristiques ou les média dominants. Ils la trouveront dans les livres. Les charlatans n’ont pas encore prise sur la bonne littérature. Mon histoire est celle de quelqu’un qui vit ça de l’intérieur. Elle parle du sud de la Croatie, d’une Dalmatie perçue par les étrangers comme un paradis pour touristes et chantée par ses habitants uniquement pour sa beauté. Le roman souligne la disproportion entre cette vie paradisiaque et la vie des résidents permanents, qui tient plutôt de l’enfer sur terre. Dans un passage où l’héroïne essaie d’observer sa ville en adoptant le regard d’un touriste, elle dit : « Plus cette ville me devient étrangère, plus je l’aime. Plus je l’aime plus je m’en fous. Et vice-versa.  » J’ai délibérément choisi le modèle du western spaghetti et du Far West pour ce roman contemporain dont l’action se déroule dans une banlieue méditerranéenne. Dans cette histoire, comme dans la réalité, on trouve les ingrédients d’un bon western, qui ne sont pas forcément ceux d’une belle vie : une petite communauté étouffante, un baron terrien local, la corruption, l’absence de lois, la violence, et puis cette fille, Rusty, sorte de cavalière solitaire, qui se fait justice elle-même.

Cafebabel.com : A votre avis, qu’est-ce qui retient l’attention des jeunes lecteurs dans vos histoires ?

Olja Savičević :  Mes lecteurs sont des hommes et des femmes, mais il y a pas mal de jeunes femmes. J’ai pu entrer en contact avec certaines ; elles s’identifient facilement à mes héroïnes – ou plutôt anti-héroïnes – modernes. La résistance au patriarcat est un sujet universel et toujours d’actualité. La nouvelle vague d’écrivains femmes nous a donné des héroïnes littéraires libres, indépendantes, autonomes, sans inhibition sexuelle. Elles sont aussi libérées du besoin de faire du sexe une idéologie. J’ai envie d’écrire une littérature qui ne soit pas en retard sur son temps, qui essaie plutôt de lui emboîter le pas. Goodbye Cowboy  parle de la violence chez les jeunes, du suicide d’une adolescente formidable, de la possibilité (impossibilité ?) d’être libre et différent dans un environnement qui n’aime pas la différence. Les jeunes n’ont pas de problème pour s’identifier à ça. N’oubliez pas que les vieux ont aussi été jeunes autrefois.

Cafebabel.com : On dit souvent que votre œuvre dépeint la vie quotidienne et s’inspire essentiellement de la jeune génération. D’après vos récents écrits, qu’est-ce que ça veut dire, être jeune en Croatie aujourd’hui ?

Olja Savičević :  Quand j’étais jeune prof’, à la sortie de l’université, j’ai travaillé dans le secondaire quelques années. Je crois que les jeunes se ressemblent, où qu’ils vivent, qu’ils ont les mêmes intérêts, les mêmes amours, les mêmes problèmes, avec quelques variations mineures. Mais une génération née pendant la guerre atteint maintenant l’âge adulte. On ne leur offre toujours aucune espèce de perspective ou de contenu. Contrairement à nous qui avons tous bénéficié de l’éducation gratuite, pour eux l’avenir risque de dépendre en grande partie de l’épaisseur du portefeuille parental. J’ai tendance à penser que ce n’est pas si simple de grandir à une époque d’une telle pauvreté matérielle et spirituelle, privée d’illusions et même de héros.

Cafebabel.com : La guerre peut-elle être une source d’inspiration ?

Olja Savičević : Oui, surtout la résistance à la guerre. La guerre est une horreur, ça n’a rien d’héroïque ni de glorieux. Il faut la démystifier, et pour de bon. Ce n’est pas les hommes politiques qui vont le faire. Ni le cinéma hollywoodien, par exemple. Ce ne peut être que les écrivains, les artistes, les philosophes. Dans la génération d’avant, les écrivains et les journalistes croates ont été les premiers à parler ouvertement, non sans critique, des crimes de guerre perpétrés en Croatie à l’époque où ils écrivaient. Ce phénomène n’arrive que maintenant en Serbie, même s’il prend de l’ampleur. Certains écrivains de ma génération essaient de faire voir la réalité aux gens, de dénoncer sans ambages les crimes et le nationalisme qui règne y compris parmi eux. Dénoncer ceux qui ont assassiné, violé et pillé en notre nom, c’est le plus bel acte de patriotisme et de dignité humaine. Pour moi, dont l’identité ethnique est plurielle, ce genre de choses est extrêmement important. Je pourrais peut-être même parler alors de la guerre et de ma propre tragédie familiale plus ouvertement, si je n’étais pas tant remplie de tristesse, d’amertume et de honte.

Cafebabel.com : On lit souvent l’expression « génération perdue » - vous vous identifiez à cette appellation ?

Olja Savičević : Absolument. Depuis que nous sommes des êtres conscients, nous attendons d’avoir une vie disons normale, mais ce n’est toujours pas arrivé. Entre-temps, on a eu des bons moments, on s’est bien amusés, on a fait la fête bien sûr, on a voyagé, lu, écouté de la bonne musique, on est tombés amoureux, mais on n’a jamais vécu dans une société normale et à peu près ordonnée.

Traduit du Croate par Antonija Primorac

 

Source :  cafebabel.fr

 

 

4. livre

 

Adios Cow-boy

 

De retour dans sa ville natale, Dada retrouve sa mère  et sa soeur avec l’espoir de libérer sa famille du passé.  Telle une cavalière solitaire, elle enfourche sa mobylette  pour tenter de faire la lumière sur la mort de son jeune frère,  passionné de westerns, disparu quatre ans plus tôt.
Cet envoûtant roman d’apprentissage nous offre le portrait  saisissant d’une génération perdue, au coeur d’une banlieue  croate abîmée par la guerre. Une oeuvre magistrale sur l’intolérance et la violence, sur le désir et la liberté d’être  différent.
 
Traduit du croate par Chloé Billon

 

Editions JC Lattès

Parution : 02/09/2020

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